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CONDUITE PRATIQUE :PRISE EN CHARGE DU PATIENT SOUS AAP

PRISE EN CHARGE DU PATIENT SOUS Antiagrégant plaquettaire

INTRODUCTION

Les maladies cardiovasculaires représentent actuellement la première cause de morbidité et de mortalité en France. L’élargissement des indications du traitement par agents antiplaquettaires (AAP) dans ces affections conduit l’odontostomatologiste à soigner de plus en plus fréquemment des patients traités par AAP au long cours.
Les patients sous AAP présentent des modifications de l’hémostase primaire qui interfèrent directement avec la réalisation de soins dentaires ou d’une intervention chirurgicale. Aussi, deux stratégies thérapeutiques s’opposent : l’arrêt du traitement par AAP, avec ou sans traitement substitutif, ou, au contraire, son maintien sans aucune modification.
L’arrêt du traitement par AAP réduit le risque de saignement périopératoire. En revanche, cette attitude ne permet pas d’assurer une protection optimale vis-à-vis du risque thromboembolique. Inversement, la poursuite du traitement par AAP, si elle garantit la prévention du risque thromboembolique, majore théoriquement le risque de saignement per et postopératoire.
L’objectif de ces recommandations est de définir une attitude cohérente et codifiée pour la prise en charge des patients traités sous AAP devant bénéficier de soins dentaires ou d’une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire.
Ces recommandations se limitent aux AAP prescrits au long cours, en ambulatoire. Elles concernent principalement l’aspirine et le clopidogrel. Les AAP utilisés en cardiologie interventionnelle, notamment les anti-GP IIb/IIIa, en sont exclus.
Les patients ayant une pathologie cardiovasculaire non stabilisée ou possédant d’autres anomalies constitutionnelles ou acquises de l’hémostase ne sont pas concernés par ces recommandations. Ces cas particuliers imposent une hospitalisation, une concertation pluridisciplinaire et une hémostase spécifique à chaque cas.
La prise d’aspirine à fortes doses est un cas particulier, qui est abordée séparément.
Ces recommandations s’adressent aux odontostomatologistes, aux médecins généralistes et aux médecins spécialistes (cardiologues, neurologues, anesthésistes réanimateurs…).

ARRÊT DU TRAITEMENT PAR AAP

Avant de pratiquer des soins dentaires ou une intervention chirurgicale chez des patients sous AAP, il semblait logique d’arrêter le traitement par AAP afin de limiter le risque de saignement per et/ou postopératoire. Cette attitude thérapeutique a une contrepartie : elle entraîne une absence de prévention du risque thromboembolique pendant une période minimum de 8 à 10 jours. Le risque thromboembolique lié à l’arrêt des AAP est très mal évalué.
Des études rétrospectives indiquent que l’arrêt des AAP, même pour une courte durée, est responsable d’une augmentation des évènements athérothrombotiques (syndromes coronariens aigus, accidents vasculaires cérébraux, claudications…).
En odontostomatologie, le bénéfice escompté par l’arrêt des AAP semble mineur en regard de la gravité du risque de récidive thromboembolique encouru.
1) L’arrêt du traitement par AAP avant des soins dentaires n’est pas justifié (Accord professionnel).
2) L’arrêt du traitement par aspirine à faibles doses (doses comprises entre 75 et 325 mg.j–1) avant une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire n’est pas justifié (Recommandation de grade B).
3) L’arrêt du traitement par clopidogrel avant une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire n’est pas justifié (Accord professionnel).

POURSUITE DU TRAITEMENT PAR AAP

La poursuite du traitement par AAP, lors des soins dentaires ou d’une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire, permet de continuer la prévention du risque thromboembolique associé à la pathologie cardiovasculaire. En contrepartie, cette attitude thérapeutique expose à un risque hémorragique périopératoire théoriquement plus élevé.
Malgré l’absence d’études cliniques pertinentes, le risque hémorragique sous AAP est considéré comme faible et de bon pronostic.
4) Les patients traités par AAP devant bénéficier de soins dentaires ou d’une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire ont un risque de saignement périopératoire potentiellement majoré mais qui n’est pas rédhibitoire lorsque des mesures d’hémostase locale sont prises. Aussi la poursuite du traitement par AAP est recommandée (Recommandation de grade C).

RISQUE LIÉ AU MAINTIEN DU TRAITEMENT PAR AAP

La poursuite du traitement par AAP avant une intervention chirurgicale permet d’assurer la prévention du risque thromboembolique associé à la pathologie cardiovasculaire. En contrepartie, cette attitude thérapeutique majore le risque de saignement per et postopératoire. L’aspirine est le seul AAP dont l’effet sur le saignement périopératoire en odontostomatologie a été étudié [26, 27, 30, 31, 34, 43, 63-70]. L’augmentation du risque de saignement associé au maintien du traitement par AAP est très mal évaluée que ce soit en terme de fréquence ou de gravité.
Les complications hémorragiques postopératoires peuvent être subdivisées en deux groupes en fonction de leur gravité : les hémorragies sévères avec engagement du pronostic fonctionnel et/ou vital et les hémorragies mineures. Les hémorragies sévères regroupent les saignements postopératoires importants et les hématomes actifs et expansifs des espaces profonds (plancher buccal, loge submandibulaire et loge latéropharyngée) qui nécessitent une hospitalisation. Ces évènements sont exceptionnels en odontostomatologie. Une cause traumatique est toujours rapportée, le plus souvent une lésion de l’artère linguale ou d’une de ses branches [71-83]. Les hémorragies mineures regroupent les suintements persistants, avec présence d’un caillot exubérant, et les ecchymoses. Elles sont de très loin les plus fréquentes [84-88]. La prise d’AAP expose en principe uniquement à un risque d’accidents hémorragiques mineurs. La littérature rapporte un seul cas d’hémorragie sévère associée à la prise d’aspirine prescrit comme antiplaquettaire [70]. Il s’agit d’un homme de 30 ans, transplanté rénal, traité par immunosuppresseurs, antihypertenseurs et aspirine à la dose de 150 mg.j–1, qui a présenté un saignement persistant suite à une gingivectomie. La reprise de l’hémostase locale a été insuffisante et le recours à une transfusion de plaquettes nécessaire. Il est cependant difficile d’établir précisément l’imputabilité de l’aspirine compte tenu de la présence de nombreux autres facteurs de risque hémorragique.
L’incidence des complications hémorragiques après des soins dentaires ou des extractions dentaires chez des patients sous AAP a été très peu étudiée dans la littérature. Une seule étude clinique a tenté d’évaluer la possibilité de pratiquer une intervention de chirurgie buccale sans interrompre le traitement par AAP [26]. Il s’agit d’un essai comparatif, randomisé, en simple aveugle, sur 39 patients répartis en 2 groupes : 20 patients arrêtent le traitement par aspirine à la dose de 100 mg.j-1, 7 jours avant les extractions dentaires et 19 autres le poursuivent. Les patients sont regroupés en fonction de la difficulté opératoire, du nombre de dents à extraire et enfin l’état inflammatoire local. Dans les 2 groupes, une hémostase chirurgicale associant sutures et compression est réalisée. Pour les 2 groupes, le volume des pertes sanguines est faible et aucun saignement postopératoire persistant n’a été constaté dans les jours suivants. Dans cette étude, il n’y a pas de différence sur la fréquence des saignements périopératoires entre le groupe des patients sous aspirine et le groupe témoin.
Aucun essai clinique n’a évalué le risque de saignement périopératoire lié à la prise de thiénopyridines (ticlopidine ou clopidogrel) après une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire. Même si le risque hémorragique lié aux thiénopyridines est estimé théoriquement comme plus important, l’expérience clinique montre que le risque de saignement postopératoire peut être contrôlé efficacement par une hémostase chirurgicale [31, 38, 42, 43].
D’excellentes raisons théoriques font penser que les AAP majorent le risque de saignement périopératoire mais, à ce jour, aucune étude clinique n’a pu mettre en évidence une augmentation significative des incidents hémorragiques ou de reprise chirurgicale de l’hémostase après intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire, chez les patients sous AAP.
En définitive, malgré le manque d’étude, l’augmentation du risque de saignement périopératoire lié à la poursuite du traitement par AAP semble faible. Aucune étude récente en odontostomatologie, n’a fait état d’un pourcentage plus élevé de saignement en terme de fréquence ou de gravité en cas de poursuite des AAP.
Les patients traités par AAP devant bénéficier de soins dentaire ou d’une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire ont un risque de saignement périopératoire potentiellement majoré mais qui n’est pas rédhibitoire lorsque des mesures d’hémostase locale sont prises. Aussi la poursuite du traitement par AAP est recommandée

CONDUITE PRATIQUE : PRISE EN CHARGE DU PATIENT SOUS AAP LORS DE SOINS DENTAIRES OU D’UNE INTERVENTION DE CHIRURGIE BUCCALE, PARODONTALE OU IMPLANTAIRE

5) L’évaluation préopératoire du patient doit être globale. Elle a pour objectif :
  •  de rechercher et d’identifier, en dehors du maintien du traitement par AAP, les facteurs susceptibles de potentialiser le saignement ;
  •  d’évaluer le risque médical ;
  •  d’apprécier le degré d’autonomie et de coopération du patient (Accord professionnel).
6) Aucun examen biologique n’est actuellement suffisamment performant pour prédire le risque hémorragique lié à la prise d’un AAP. La prescription d’un temps de saignement (TS) en préopératoire est inutile. L’évaluation du risque de saignement repose donc essentiellement sur l’interrogatoire médical et l’examen clinique (Recommandation de grade A).
7) La prise de décision entre une prise en charge au cabinet dentaire ou en milieu hospitalier doit être guidé par le résultat de l’évaluation individuelle préopératoire des risques cardiovasculaires et hémorragiques propres à chaque patient. Le recours systématique à une prise en charge hospitalière n’est pas justifié (Accord professionnel).
8) La poursuite du traitement par AAP ne contre-indique pas la réalisation d’une anesthésie locale (AL). L’anesthésie locorégionale (ALR) du nerf alvéolaire inférieur est déconseillée. Il est recommandé de pratiquer une ALR uniquement en cas d’échec ou d’impossibilité de réaliser une AL. Le choix d’une aiguille avec un diamètre externe maximum de 27 Gauge ou 0,40 mm, et une injection lente permettent de limiter le traumatisme tissulaire (Accord professionnel).
9) La poursuite du traitement par AAP ne contre-indique pas la réalisation d’une anesthésie générale. L’intubation nasotrachéale est déconseillée en raison du risque plus élevé d’hémorragie nasale (Accord professionnel).
10) La poursuite du traitement par AAP ne contre-indique pas la pratique de soins dentaires conservateurs (dentisterie restauratrice, endodontie, prothèse). Ils n’exigent aucune précaution particulière (Accord professionnel).
11) La poursuite du traitement par AAP ne contre-indique pas la pratique de soins parodontaux non chirurgicaux. En cas de saignement postopératoire persistant, une compression locale pendant 10 minutes est recommandée (Accord professionnel).
12) La poursuite du traitement par aspirine ne contre-indique pas la chirurgie buccale, parodontale ou implantaire (Recommandation de grade B).
13) La poursuite du traitement par clopidogrel ne contre-indique pas la chirurgie buccale, parodontale ou implantaire (Accord professionnel).
14) Une technique et une hémostase chirurgicales rigoureuses constituent des mesures préventives essentielles pour limiter le risque de complications hémorragiques périopératoires chez les patients sous AAP. Une suture des berges de la plaie opératoire et une compression locale sont indispensables. Le recours à des hémostatiques locaux résorbables est conseillé (Accord professionnel).
15) La remise par écrit de conseils postopératoires et de consignes sur la conduite à tenir en cas de saignement postopératoire est recommandée (Accord professionnel).
16) Une consultation de contrôle à 24-48 h ou un simple contact téléphonique est recommandé(e) afin de vérifier la bonne observance des conseils postopératoires (Accord professionnel).
17) Les complications hémorragiques en cas de poursuite du traitement par AAP sont rares et le plus souvent de bon pronostic. Le traitement curatif d’une complication hémorragique postopératoire repose principalement sur la reprise chirurgicale de l’hémostase et la surveillance clinique. En cas d’échec de la reprise de l’hémostase locale ou d’atteinte de l’état général du patient (détresse respiratoire, asthénie, hypotension…), un transfert en milieu hospitalier est recommandé (Recommandation de grade C).

CAS PARTICULIERS DE L’ASPIRINE À FORTES DOSES

La prise d’aspirine à une dose totale journalière supérieure à 500 mg répond à des indications antalgique et/ou antipyrétique et/ou anti-inflammatoire. L’objectif thérapeutique n’est plus la prévention de complications thromboemboliques. Dès lors, l’arrêt de l’aspirine peut être envisagé sans risque, d’autant plus qu’il existe de nombreuses alternatives thérapeutiques à l’aspirine en tant qu’antalgique et/ou antipyrétique et/ou anti-inflammatoire.
18) Les soins dentaires conservateurs et les soins parodontaux non chirurgicaux ne sont pas contre-indiqués lors de la prise d’aspirine à fortes doses (Recommandation de grade C).
19) Pour la chirurgie buccale, parodontale ou implantaire, il est préférable d’arrêter le traitement par aspirine et de différer l’intervention à 5 jours si l’on tient compte de la compétence hémostatique ou à 10 jours si l’on souhaite que l’action de l’aspirine ait complètement disparu (Recommandation de grade B).
20) Dans un contexte d’urgence, si une intervention chirurgicale est impérative, elle peut être réalisée sans interruption préalable du traitement par aspirine à fortes doses. Pour la prévention des complications hémorragiques, on recommande la même attitude que celle adoptée pour les AAP (Recommandation de grade C).

CONCLUSION

Pendant de nombreuses années, afin de réduire le risque hémorragique, l’usage a fait interrompre le traitement par AAP avant des soins dentaires ou une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire, cette attitude n’est plus acceptable.
En effet, des études récentes ont confirmé la survenue de complications thromboemboliques graves pendant la période postopératoire (1 à 3 semaines) vraisemblablement imputables à l’arrêt du traitement par AAP, et ceci même avec un relais par le flurbiprofène. À l’inverse, aucune étude n’a pu mettre en évidence un risque relatif plus élevé de complications hémorragiques lors de la poursuite du traitement par AAP. Par conséquent, il est actuellement recommandé de ne pas interrompre le traitement par AAP avant de pratiquer des soins dentaires ou une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire, moyennant des précautions appropriées (hémostase chirurgicale, conseils et surveillance postopératoires adaptés). Enfin, le contrôle du risque hémorragique ne doit pas faire oublier les autres risques opératoires. Seule une évaluation globale du risque opératoire permet de garantir une prise en charge optimale du patient traité par AAP en odontostomatologie.
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